L’Oiseau de nuit
- arthurpenet
- Jul 28, 2017
- 8 min read
Dimanche 2 octobre 2016. Cela fait une semaine que je suis installé à Southampton. Enfin installé, c’est un bien grand mot… Je suis généreusement hébergé par Kévin et Gayé, des amis d’ami. J’ai commencé les cours à l’Université et je suis déjà un peu largué. Mon cerveau passe doucement de la langue française à l’anglais… Bref, dimanche matin d’octobre, il est 7h30. Qu’est-ce que je fais réveillé à cette heure sur un parking ? C’est pourtant simple !
Vêtu de ma salopette et de mes bottes, mon sac de bateau en bandoulière, prêt à naviguer, je fais le tour du parking et vais à la rencontre de toutes les personnes qui ressemblent de près ou de loin à des marins sur le point d’embarquer : « Salut ! Je m’appelle Arthur, je suis français, je viens d’arriver à Southampton et je cherche un équipage avec lequel naviguer cette année ! Vous connaissez un bateau qui aurait besoin d’un équipier supplémentaire ? ». Après être allé à la rencontre d’une poignée de personnes, j’entends mon prénom crié dans un français parfait, depuis les pontons. C’est Charlotte, une française embarquée avec un équipage anglais à bord de Night Owl II, un joli et puissant voilier de 12m, dessiné par le cabinet Mills Design et construit par le chantier M.A.T à Izmir en Turquie : il s’agit du MAT12. Ce que je ne savais pas c’est que toutes les personnes que j’ai abordé sur le parking se rendaient sur Night Owl II et ont tous parlé entre eux du frenchie qui s’appelle Arthur sur le parking ! Il s’avère que quelqu’un s’est désisté le matin même, pour ma plus grande chance ! Me voilà embarqué à bord de Night Owl II, « l’oiseau de nuit ».
C’est comme ça qu’a commencé mon année de navigation en Angleterre avec un équipage haut en couleurs, composé de Julie, Nicky, Oksana, Charlotte, Maggie, Jess, Andrew, Simon, les deux Adam, Toby, Brad, James, Ed, Paul, Sean, Steve et Tim pour ne citer que ceux avec lesquels j’ai eu la chance de naviguer ! Après quelques bords avec eux, j’ai compris que j’étais tombé sur un équipage qui m’allait bien. Pourquoi ? Dans mon désir de naviguer en Angleterre il y avait le souhait d’apprendre à naviguer en anglais et d’apprendre le vocabulaire marin que je commence à connaitre en français maintenant. Lors de mes premiers bords sur Night Owl je n’ai pas arrêté de demander « comment on appelle ça », « comment ça se dit ça », « et quand le bateau il fait ça vous dites comment ? ». Et au lieu d’être saoulés de mes mille et unes questions, ils m’ont appris un nombre incalculable de mots ! Je sais ce que sont des « monkey nuts » maintenant ! (littéralement des « couilles de singe », ce que les marins français reconnaitront comme les "couilles de chats"). Bref, en peu de navigations j’apprends à faire du bateau dans la langue de Shakespeare, et je me prends de sympathie pour cet équipage qui m’a accueilli sans me connaître et qui m’a fait confiance. Après quelques courses ensemble, lors d’un de nos incontournables débriefings post-navigation – entendez par là un tour de table autour d’une bonne bière au bistrot de la marina – ils me proposent de faire partie de l’équipage permanent. Là il faut que je vous explique ce que ça veut dire. Night Owl II, c’est un syndicat de personnes qui ont acheté le bateau ensemble et qui cotisent toute l’année pour entretenir le bateau, participer aux courses et faire vivre leur projet de courses. Et ça coute cher d’entretenir un pareil bateau et de le garder au top de sa forme pour les courses de l’année ! Le hic c’est que je suis étudiant et que je n’ai absolument pas les moyens de payer une cotisation au syndicat. On s’était donc mis d’accord sur le fait que quand il y avait de la place ils étaient ravis de m’avoir mais que les syndiqués avaient la priorité. Revenons à notre tour de table autour de mon habituelle Guinness post-entrainement… En fait ce qu’ils viennent de me proposer c’est d’intégrer l’équipe permanente de Night Owl pour les courses du printemps 2017, comme si j’étais un membre du syndicat, « because we love you » pour reprendre les mots de Julie. En échange ils me demandent si je peux rendre service à l’occasion pour m’impliquer dans la vie de l’équipage. Waw, je n’en revenais pas ! Cette proposition m’a vraiment touché et j’ai revu en deux secondes les mois écoulés, les entrainements, les régates, les bières… J’avais ma place à bord maintenant. Je faisais partie du « crew ». Waaahouuuu ! J’ai accepté bien entendu ! Et avec mon culot habituel j’ai osé demander une petite faveur… Comme l’année commençait à s’intensifier et que je savais que ce ne serait pas raisonnable de naviguer tous les week-ends avec eux, je leur ai dit que je ne ferai pas les entrainements et les courses du printemps… Mais le p’tit Arthur a de la suite dans les idées et n’a pas oublié pourquoi il est ici. Maintenant que j’ai appris à naviguer pendant des régates sur les côtes anglaises, je veux apprendre à naviguer au large en équipage et en anglais. Alors je leur demande si je peux faire partie du crew Offshore (l’équipage de course au large). Et devinez… Ils acceptent !
Plus tard, pour avoir une idée des compétences de l’équipage, Ed, le skipper du crew offshore me demande mon CV voile et mes qualifs, je lui parle de l’année dernière, du mini et ce que j’ai appris grâce à Luc dont je vous ai parlé et Stan – dont je vous parlerai très prochainement. Je lui parle de la formation de survie en mer et du secours à victime en mer que j’ai passé pour faire les courses en Mini… et je réalise que sans le savoir, je m’étais ouvert de belles portes en faisant ses formations et en naviguant en double en Mini 6.50.
Intégré à l’équipage Offshore, j’ai donc participé à notre première course de la saison 2017, et c’est vers la France que nous sommes partis depuis Cowes le samedi 29 avril vers 10h. A bord, Ed, Andrew, Paul, Nicky, Simon (alias Smithy), Oksana qu’on appelle tous Oksy, Steve, Tim et moi-même…
Pardons, l’histoire ne commence pas du tout à 10h… Reprenons… On s’est tous retrouvé au ponton à 6h30 pour partir vers 7h. A 7h10, on largue les amarres, Smithy et Steve sautent dans le bateau après s’être assuré qu’il ne touchait pas le ponton ni le bateau voisin. Et là on s’arrête… Le moteur tourne, et développe toute la puissance qu’il peut mais on est scotché. La quille est dans la vase… Malgré nos tentatives de faire giter (pencher) le bateau en se mettant tous sur un côté pour « lever » la quille, rien ne bouge. Ed faire vrombir le moteur, on pousse de l’eau mais Night Owl ne bouge plus. On s’est fait avoir comme des débutants par la marée basse alors que justement on s’était dit qu’on partait à 7h avant la marée basse de 7h30… Nous sommes donc restés à bord, au milieu de la marina, à quatre petits mètres du pontons que nous venions de quitter, pendant presqu’une heure à surveiller la profondeur d’eau sous le bateau et vers 8h10 Ed fait vrombir de nouveau le moteur… « on bouge ! ». On se jette tous sur le bord du bateau pour le faire pencher et cette fois lever la quille un peu plus de la vase qu’elle vient de quitter. Et c’est de cette manière que nous quittons la marina d’Hamble… Les fiers marins ! haha !

Une heure plus tard environ nous sommes à Cowes, enfin prêts à prendre le départ du Cervantès Trophy au milieu de nos 12 concurrents directs et des dizaines d’autres bateaux qui participent à cette course depuis Cowes jusqu’au Havre (150 miles marins environ). On prend un bon départ et on est dans les 5 premiers à couper la ligne et à nous élancer vers la bouée de dégagement qui se trouve à un peu plus d’une heure de là, en face the Littlehampton, vers l’ouest, sur la côte anglaise et après laquelle nous nous dirigerons vers la France…

Un de mes souhaits en me lançant dans cette campagne Offshore avec Night Owl c’est d’apprendre un peu plus à me servir des outils de préparation de notre route (le routage comme on dit dans le jargon) pour atteindre au plus vite l’arrivée en prenant en compte la météo, les courants marins, et les capacités du bateau. C’est passionnant parce que pour faire cela bien, il faut rassembler les données météos de plusieurs modèles idéalement (GFS, GEM et autres) pour pouvoir les comparer et envisager plusieurs scénarios météo. Ensuite il faut avoir conscience des courants marins et des horaires de marée pour savoir comment la masse d’eau sur laquelle on va naviguer va se déplacer dans les heures qui viennent. En utilisant au mieux tous ces paramètres, on met toutes les chances de notre côté pour arriver en France le plus rapidement possible. Je me suis proposé pour aider Ed dans cette tâche et on a préparé la veille de la course notre routage avec en tête le fait que la météo ça change tout le temps…. Donc un routage que tu as fait la veille peut s’avérer aberrant le lendemain, surtout quand la météo est instable… Bref, on avait une idée de ce qu’on voulait faire et on restait prêt à s’adapter à un changement éventuel de la météo.
Et on dirait que cela a payé au final ! Globalement on a fait moins de kilomètres que plusieurs de nos concurrents et surtout on s’est servi du courant pour aller plus vite et nous laisser d’abord éloigner (courant d’est en ouest) puis ensuite rapprocher (courant d’ouest en est) de notre destination sans essayer de résister au courant et en privilégiant la vitesse. Le vent est passé de 10 nœuds en début de course à 25 nœuds à notre arrivée nocturne au Havre. Quand nous passons la ligne vers 1h du matin nous sommes ravis et allons célébrer cette belle traversée à la Société des Régates du Havre à grand renfort de bières jusqu’au petit matin.
Après un repos bien mérité, nous nous offrons un déjeuner à la française et larguons les amarres pour rentrer en Angleterre. Le retour se passe bien, et je prends le premier quart de nuit avec Steve et Tim pendant que les autres vont se coucher. Je suis à la barre. Nous naviguons sous grand-voile pleine parce qu’elle s’est coincé dans le rail du mat et on n’arrive pas à la descendre pour prendre un ris malgré le vent forcissant. Au milieu de la nuit, je me retrouve donc dans des rafales jusqu’à 28 nœuds (50km/h, c’est beaucoup sur l’eau !), au portant (110° du vent apparent environ), poussé par de belles vagues d’une mer qui se forme au milieu de la Manche et nous faisons des pointes de vitesses à presque 13 nœuds (25 km/h, ça aussi c’est plutôt rapide pour un monocoque de 12m). Je me sens tellement bien à la barre à jouer dans les vagues sans oublier de surveiller les cargos dont nous coupons la route à 90 degré.
La traversée se termine sans encombre et au petit matin nous arrivons dans le Solent. Le vent s’est calmé et la grand-voile accepte de redescendre pour notre plus grand soulagement. Notre petite aventure se termine comme toujours au Ketch Rigger, le bar restaurant de la marina d’Hamble où nous débriefons et nous restaurons d’un bon petit déjeuner.
Qu’est-ce que je retiens de cette course ? Mes points forts pour commencer ; j’ai trouvé que j’étais réactif et efficace lors des manœuvres à tout moment de la course, pour un changement de voile d’avant ou une prise de ris. Tant que j’ai de l’énergie je suis opérationnel et un élément moteur de l’équipage. Mais ça ne peut pas être aussi facile… Dès que la fatigue s’est fait sentir sur la course, j’ai été pris de mal de mer et suis devenu complètement inopérant et il a fallu que je dorme. J’ai eu du mal à me lever et c’est seulement lorsque l’on m’a confié de nouveau la barre que j’ai retrouvé mes esprits et mon énergie. Je retiens que la gestion de la fatigue et de l’hydratation-alimentation est quelque chose que je dois comprendre et apprendre à maîtriser si je veux progresser en course au large.
Depuis cette course, nous avons aussi fait la Cowes-St Malo race ensemble. On a beaucoup appris en navigant ensemble et même s’il nous reste encore une marge de progression, nous sommes prêts pour emmener l’Oiseau de nuit sur la Rolex Fastnet, le 6 août prochain.
Merci à chacun de vous, équipiers de Night Owl pour la place que vous m’avez accordée dans votre belle équipe !
Comments